Chapitre 7 : La Fatigue

Disons que niveau « trucs bizarres dans mon corps » on tourne là-dessus un peu en boucle de la fin de l’été jusqu’au début du décès des feuilles d’arbres, avec comme base principale : la fatigue.
Chaque être humain sur terre a déjà été fatigué quel que soit son âge, de 0 à Jeanne Calment. C’est universel. C’est un état que chacun traverse de la même manière à peu près aux mêmes horaires. ET BAH NON. Erreur ! Faux ! Nul ! Zéro ! Ça dégage ! Dehors les raccourcis ! Je suis fatiguée de nature, par à peu près tout mais essentiellement par les gens qui se coupent les ongles dans le métro et Jeff Panacloc. J’aime me plaindre, j’aime râler, je ne vis que pour juger tout ce qui m’entoure avec mauvaise foi et un verre de vin. Mais jamais je n’ai été fatiguée comme ça. C’est tellement intense, tellement bizarre que c’est quasi inexplicable. Disons que j’ai l’impression de rétrécir tout doucement, d’être aspirée par le sol, d’avoir le visage qui s’affaisse et les épaules qui touchent mes orteils. Ma vie se déroule désormais à l’intérieur d’une centrifugeuse de la NASA qui me propulse 8G dans la tronche en permanence. Je suis en train de me ratatiner comme une crêpe, au ralenti, dans un silence total.

Je suis incapable de bouger, me faire une tisane équivaut à une séance de sport : en quatre pas j’ai des vertiges, envie de vomir et des gouttes de sueurs  qui perlent sur mon visage (non Cher Journal, pas comme dans Flashdance, je te parle de la sueur qui apparaît sur la moustache et glisse inexorablement sur tes lèvres alors que tu n’as rien demandé). Dans tous les films américains qui se respectent, quand une femme ressent ça, elle fonce en pyjama dans une épicerie toute pourrie pour acheter un test de grossesse et pleure de joie quand elle voit qu’elle va enfin pouvoir enfanter un futur petit obèse élevé au grain d’huile de friture. Happy End en travelling arrière sur un coucher de soleil rempli d’espoir.
Et bien disons que mon happy end c’est quand je dépose ma tisane sur la table et mon cul sur le canap en grommelant de tout mon saoul.
La journée passe avec autant d’intensité et de mouvement que dans une morgue quand soudain : texto : mon mec : « j’arrive » : alerte rouge : Mirabelle appelle Églantine : souquez les artimuses : j’ai 40 minutes devant moi pour paraître humaine. Je commence par 20 minutes à snoozer mentalement ce sms pour finalement déclencher le plan ORSEC. Douche, déo, vêtements propres et anticerne.
Il arrive, m’embrasse et fait ce que 137 % des gens font en rentrant du boulot après une grosse journée : il enfile un jogging. Ni une, ni deux : je l’accompagne dans ce changement vestimentaire libérateur.

Temps passé par jour habillée correctement : 7 minutes.

Parfois ça ne va vraiment pas du tout. Je n’arrive plus à cacher ma fatigue et dis dans un souffle que je crois être mon dernier : « je suis fatiguée ». Jamais, ô grand jamais, je n’avais remarqué que la réponse à ces mots, quelle que soit la personne, est toujours la même dans 99 % des cas : « Ohlala ! Moi aussi ! » Suivie d’explications diverses et variées allant (souvent) de soirée trop arrosée la veille au manque de sommeil à cause d’une nouvelle série en passant par le décès d’un proche. Franchement à moins que ce ne soit la dernière raison, mon cerveau s’éteint et se concentre sur le visage de cette personne pour l’imaginer sans globe oculaire, ou avec une fourchette plantée dans l’oreille gauche. Je te parle de FATIGUE pas de fatigue ! Bordel les gens sont insensibles, ils ne comprennent rien.

Les jours passent, les jambes craquent, les mois filent, j’attends novembre comme si c’était Noël (et comme si j’aimais Noël). On est fin octobre : mon corps me répond de moins en moins bien, le moment est parfait pour demander où en est la liste d’attente à ma copine la secrétaire méga sympa que j’aime comme du beurre fondu sur la poêle.

ET LÀ

LA MEUF

me dit qu’il y a eu un problème informatique il y a deux semaines qui a supprimé la liste d’attente et que le docteur en question ne prend plus de nouveau patient.









Hein ?









Mais ça fait 4 mois que… Mais j’en peux plus de… Mais pourquoi y’a plus… De tout ce que j’ai traversé, c’est le moment dont je me souviens le moins. Comme si j’avais pris une tellement grosse mandale qu’il fallait me déclarer KO. Elle me donne des numéros d’autres médecins : si je leur explique la situation peut-être qu’ils pourront me prendre plus rapidement. Verdict : NOPE ! 6 mois d’attente en moyenne. Je suis dégoûtée, énervée, j’en veux à tout le monde, je hurle et pleure dans mes coussins, je suis à la limite de les manger tellement je suis hystérique, mon copain me fait des pâtes à la place. 

Mon corps devient de plus en plus décrépit et je le contrôle de moins en moins bien. Je suis fatiguée comme après une journée de rando-trail-varape-base-jump dès que mon réveil sonne. Mes journées sont aussi longues qu’un épisode de Derrick en VO sous-titré ukrainien. Depuis que le rendez-vous a été annulé, j’ai l’impression que mon corps est un gros chauve lepéniste en marcel Esso à une conférence sur les droits des femmes qui lance un retentissant « Bon si c’est comme ça j’me casse ! » et marmonne ensuite un discret « De toute façon j’en n’ai rien à foutre ».

Ça fait quatre mois que j’attends ce rendez-vous. Ça fait quatre mois qu’à chaque craquement d’articulation je me dis : c’est bientôt fini. Ça fait quatre mois qu’en épongeant mon lit trempé de sueur je me dis : ça va s’arrêter. Ça fait quatre mois que mes yeux sont vitreux et rougis, mais ça va aller mieux. Quatre mois que chaque jour je me dis « oula c’est pas normal ça » en découvrant un nouveau dysfonctionnement plus ou moins minime. Quatre mois que ma peur grandit en me voyant muter en une mamie de 80 ans. Quatre. Putain. De. Mois.

Il me faut un plan, et par plan j’entends : un miracle.

Il y a des miracles dont on parle longtemps ! Jésus qui paye sa tournée de vin, Wolfgang, 8 ans, qui compose une symphonie entre deux Pepito Pockitos au chocolat au lait et bien sûr : la fin de la coupe mulet sur terre (région Picarde exceptée). Soit. Mais dans mon cas, il m’en faudrait un sur-mesure. Souvent on cherche en vain quelque chose qui est sous notre nez (ou dessus si jamais on cherche nos lunettes), et bien Cher Journal, ce que je ne voyais pas c’est que le miracle avait eu lieu quelques mois avant !

Bon sang mais c’est bien sûr !

Quelle meilleure nouvelle que d’avoir un frère entre la vie et la mort ? Jouez hautbois résonnez musettes, car il n’est pas seulement quasi mort : il est quasi mort dans un service d’infectiologie ! Quelle joie. Ne réapprends pas à marcher tout de suite cher frère, j’arrive ! Je profite donc d’une visite pour glisser mes résultats à son médecin, spécialiste de Lyme qui après les avoir lus m’accorde un rendez-vous deux mois et demi plus tard.

Un miracle te dis-je Cher Journal.

Attendre. 

Encore.

7 réflexions sur “Chapitre 7 : La Fatigue

  1. Chère Eugénie,
    Comment ne pas se réjouir de ces six chapitres hilarants si la cause n’en était si cruelle !
    Ou comment découvrir la force de l’autodérision dans le talent de ton écriture.
    Je te remercie pour ce texte et ton courage.
    Bises

  2. Quel bonheur de pouvoir rire de ce qui nous arrive… même si j’hésite parfois en vous lisant entre rire et pleurer parce que je ne sais que trop bien ce que vous vivrez, le sourire l’emporte presque toujours. Vos mots ont egayé une fois de plus ma journée, après une bonne nuit à compter les heures avant le jour… merci infiniment pour votre écriture et votre partage.

  3. Patricia, je voulais vous partager mon enthousiasme après avoir lu les 7 chapitres de votre journal. J’ai ri, souri. Pleurer, aussi. Ne plus savoir nommer les choses toutes simples. Ne plus savoir écrire maman, par exemple… Ou ne plus me souvenir du prénom de la personne que je cherche dans mon répertoire (pratique, hein!) Se perdre dans la rue…Et j’en passe. Passer de l’insomnie à l’hypersomnie. Transpirer des sourcils. Je ne connaissais pas encore ces glandes sudoripares…Oui, le même vécu. Alors, merci, Patricia. NOUS ATTENDONS LA PARUTION DE VOTRE LIVRE, maintenant. A bientôt. Marie.

    1. Merci Marie, je suis contente d’avoir pu vous faire rire avec tout ça ! Je vous souhaite d’aller mieux et de pouvoir un jour mettre toutes ces conneries derrière vous. On y croit ! Bonne journée 🙂
      ps : je m’appelle Eugénie, Patricia c’est le nom de la personne qui a commenté au dessus je suppose ! Vous avez dit brouillard ? 😉

  4. Merci Eugenie pour cette lecture qui me laisse dubitative entre rires et tristesse, entre espérance et resiliance ..je bois chaques mots que je lis tel une assoiffé d empathie en votre égard….
    Vos mots sont forts, justes et cette humour face à cette cochonnerie fait du bien au moral ..
    J espère que vous publierez votre journal version papier ?
    Dans l attente de vous lire et re lire..
    Je vous envois plein de courage .
    Force à vous ..et fuck lyme 😜

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