Chapitre 11 : Centrale vapeur

Les jours passent, la force me quitte, l’hiver me glace et me déprime comme à chaque fois. Quel plaisir trouvent les gens à se cailler les miches sous un ciel gris et un sol glissant pendant des mois ? Pour moi une personne qui aime l’hiver est un psychopathe en devenir. À part rire quand on voit quelqu’un se vautrer à cause d’une plaque de verglas, je ne vois pas le positif dans cette saison. 
Ah si la raclette. 
Bon, d’accord. 

Depuis quelques semaines j’expérimente des auto-reboots ponctuels, des moments assez brefs pendant lesquels ma tension chute d’un coup. Je vois tout au ralenti, les sons se troublent, je me courbe et me déforme, ma bouche tombe, mes yeux sont vitreux. Je sens mon teint devenir blafard, mais comme à la fête foraine mon cerveau lâche un petit « mmmmmmmmzé reparti tout l’monde les bras en l’aiiiiiiiir ! ». Mon sang recircule et je reprends une activité normale (peinture sur chèvre, construction d’igloo… ou juste sieste). 

Un jour, alors que je suis échouée sur mon canap avec le sinus bouché et l’envie de me téléporter en été, l’horreur s’empare de moi. 

Ma peau brûle.

Je prends feu.

Je suis en feu ! 

Je me lève d’un coup et me déshabille en arrachant mes vêtements : je brûle, on me brûle, ma peau se détache. 

Je n’ai jamais eu aussi mal de ma vie, j’ai l’impression qu’on me pose un fer à repasser (chaleur coton) sur l’épaule et la nuque et qu’on ne l’enlève pas, qu’on attende que la peau fonde et disparaisse, qu’une fois mes muscles à vif on y enfonce des aiguilles, minuscules mais nombreuses, en même temps. Une torture. C’est tellement horrible que même un cheveu qui touche mon épaule me fait l’effet d’un coup de fouet. Je m’incurve en piaffant comme pour éviter ce supplice : je tourne en rond dans mon salon en pleurant et hurlant de douleur. J’insulte la terre entière. 

Je ne sais pas combien de temps ça dure, toujours est-il que la douleur commence enfin à se dissiper. Je fonce devant le miroir pour regarder mon épaule tomber en lambeaux.

Rien.

Même pas une plaque, ma peau n’est pas chaude, il n’y a rien d’autre que mon reflet terrorisé.

Quelques secondes passent et je vois des taches couleur chair à saucisse apparaître : j’essaye de poser ma main à plat, doucement dessus. Doucement c’est-à-dire encore plus doucement que les couples qui marchent main dans la main sur les trottoirs parisiens. Encore plus doucement qu’une mamie qui paye ses courses par chèque un vendredi à 19 H 30. Encore plus doucement qu’une limace qui escalade une bouteille d’huile d’olive. Plus doucement tu décèdes de paralysie générale. Je pose finalement ma main au creux de mon épaule : aucune sensation particulière si ce n’est celle de ma main posée au creux de mon épaule… et celle d’être à moitié folle : il fait -8 000 dehors et moi je danse à poil dans mon living-room. Je remets mes 50 couches de vêtements et m’enfonce dans mon lit avec une bouillotte : je suis abattue et terrorisée par ce qui vient de se passer. Pour la première fois depuis le début j’ai besoin de savoir : je tape « brûlure symptôme Lyme » dans Google. Je survole quelques témoignages, je ne suis pas seule.

Je ne suis pas folle.

Pitié poti-zésus, fais que ça ne m’arrive plus jamais de toute ma vie, sur la tête de ma mère je te parle plus jamais, wallah déconne même pas avec ça. Amen.

Pendant les jours qui suivent, ça recommence quelques fois mais beaucoup moins intensément et souvent plus longtemps. Au lieu de brûler au huitième degré, je mijote, je brûle à petit feu, j’ai franchement mal mais c’est que dalle : chat ébouillanté ne craint plus l’eau parce qu’il est mort. 

Plus que quelques jours avant le doc. Plus que quelques heures. 

Chaque brûlure me rapproche du rendez-vous : je suis à la limite de m’en réjouir et patiente, thermostat 6. 

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