Quand mes yeux fonctionnent normalement, il ne m’est pas rare d’entendre des voix. Si bien entendu, par « voix » on veut dire « voix de bébé Lara Fabian qui te hurle un cri strident à en faire péter l’émail de tes dents ».
Oui voilà, des acouphènes qu’ils appellent ça, Cher Journal.
On peut s’arrêter quelques instants sur ce bruit, cette sensation, je ne sais même pas comment appeler ça ? À quel moment ton cerveau t’envoie un son en Dolby Surround de fraise de dentiste lancée à pleine puissance dans ton canal auditif ? Et pas longtemps en plus. Juste le temps de te faire sursauter ou incliner la tête à 180 degrés. Comme si ton cerveau vérifiait un truc, comme s’il venait de réparer une synapse et qu’il checkait si tout roulait, un chewing-gum sans plus aucun goût jonglant entre ses molaires cariées. Mon cerveau s’appelle Jean-Mi, il a 58 ans et c’est un ingé son alcoolique qui ne maîtrise plus rien dans sa vie.
Les acouphènes c’est comme le deuil, ça se vit par phase :
1- Déni
Pour le premier : je me retourne, je regarde, je cherche, j’évalue la situation. Qui sont ces serpents qui sifflent dans ma tête ? Ah ça y’est, c’est fini. Vous avez dit bizarre ?
2- Colère
Dès le deuxième ( qui arrive très rapidement après le premier ) je m’agace. Mes sourcils se froncent, ma babine supérieure se retrousse alors que ma mâchoire inférieure s’avance à toute allure. Je mords mon poing serré. Je suis colère. Dans ma tête, une seule phrase : « si ça recommence je pète un câble ». Bien entendu cette phrase n’a aucun sens, aucune allure, rappelons la situation : je suis seule dans mon salon à chercher autour de moi un chirurgien-dentiste en plein détartrage.
3- Marchandage
La troisième fois, je penche la tête du côté dudit acouphène, comme pour faire glisser sa sale gueule jusqu’à terre et mieux l’écraser une fois qu’il aura fini de me fusiller le tympan. Le tout en souriant nerveusement. En souriant comme devant un coiffeur qui tournoie autour de moi avec son petit miroir et qui me demande si ça me plait. Oui oui. Merci. C’est super.
4- Dépression
Les cinquante qui suivent sont juste là pour me rappeler que mon cerveau est en batterie faible. Tel le son d’un encéphalogramme plat, mes acouphènes m’indiquent la mort. La mort de mes tympans bien entendu, mais aussi la mort de ma joie de vivre et de ma volonté à vouloir cesser ces sifflements de ces serpents soûlants.
5- Acceptation
Au 8 000ème, je passe vraiment un cap. Le cap de Bonne-Espérance. Je ne bouge plus ( trop ), je ne grimace plus ( beaucoup ), je sais. Je ne peux rien faire si ce n’est : subir. Je baisse les bras, les tympans, les enclumes, les marteaux, mes pavillons sont en berne : il n’y a rien à faire. Jean Mi est aux platines et il n’est pas près d’être sobre apparemment.
Il faut savoir Cher Journal, que mes acouphènes sont souvent caractérisés par ce bruit de perceuse visseuse/dévisseuse suraigu, mais ça serait trop simple de les réduire à ça uniquement. Par moments, DJ JeanMi se prend pour Philippe Katerine et coupe carrément le son. D’un coup, je n’entends plus rien d’une oreille, pendant de longues secondes. Rien ne marche pour régler ce problème : je feins le bâillement, je penche la tête, je secoue frénétiquement mon index dans mon conduit auditif… C’est en général lorsque j’abdique que le son revient. Je n’y comprends rien. Et quand je dis rien je précise que pour moi, Cher Journal, la fin d’Inception et la totalité de Matrix 3 : c’est clair comme de l’eau de roche.
Une réflexion sur “Chapitre 17 : Jeanne d’Arc 2.0”