Je commence enfin ce nouveau médoc pour les articulations : le plaquenil. Je dois le prendre le soir, après le repas. Alors je le prends le soir après le repas. Tu te souviens Cher Journal quand je te disais que mon corps commençait à remarcher comme avant, que je sentais la force me regagner, la vie me revenir ? Et bien pour citer ce grand poète et amoureux des mots qu’est Donald Trump : FAKE NEWS. Dix minutes après mon comprimé : je dors d’un sommeil profond et totalement involontaire, sauf qu’une heure après je m’éveille comme la belle au bois dormant, l’haleine sûrement moins fétide tout de même. Ce micro coma du soir nous fait rire, mais une fois que mon copain s’endort, je m’emmerde. J’ai trop dormi avec cette sieste inopinée : à moi la nuit grise (c’est une nuit blanche où je m’endors vers les 3 ou 4 heures du matin). Je l’appelle nuit grise en hommage à mon teint du lendemain.
Commence alors une semaine de narcolepsie médicamenteuse suivie de nuits aux 50 nuances de gris. Le médoc du soir devient une vraie bonne blague, j’essaie de tenir le plus longtemps possible, mais je perds toujours. Je commence à arriver à éteindre mon corps sans dormir : je suis comme droguée sur mon canapé pendant des temps de plus en plus court : 45 minutes, 35 minutes jusqu’à arriver à une vingtaine de minutes de déconnexion neuronale et physique. En cherchant un peu à décrire mon expression, on trouve, dans un grand fou rire, une quasi photo de ma tête : le tableau de Paul Delaroche « Napoléon abdiquant à Fontainebleau ». C’est moi. Sur mon canap. Devant la télé après mon cacheton.
Alors que je commençais enfin à espérer retrouver un début de micro vie sociale, sans alcool bien sûr, car sinon une gorgée me fait l’effet d’une bouteille de gin cul-sec, cette pastille post-pâtes annule toute mondanité. Retour à la case départ de la socialisation digne de l’adolescence de Natascha Kampusch.
Fin du premier mois, ça va mieux, je n’ai plus que quelques minutes de déconnexion le soir, et encore ça se voit à peine : j’ai juste la même tronche qu’un bébé qu’on tire de sa sieste durant cinq minutes.
Ça va vraiment mieux.
Le hasard fait que je décroche un petit boulot, une ou deux demies-journées par semaine, pendant 2 mois comme vendeuse dans une boutique. C’est parfait pour me remettre en selle. Je reste debout pendant 4 heures, oublie complètement les notions de fatigue et d’énergie, je suis tellement contente de faire ça que je donne tout, ça me plaît, ça me change, ça me prouve que je vais mieux. Mais quand je pose un pied chez moi : tout se relâche, j’ai une migraine monumentale, je ne peux que rester dans le noir, le moindre bruit m’agresse complètement, je n’ai plus aucune force en moi.
Plus le temps passe, plus je m’habitue à cette routine : une fois ou deux par semaine, je me prépare à tout donner, je rassemble mes forces pour les concentrer dans mon petit job. Chaque fois que je prends le métro pour y aller je vérifie si j’ai tout : du sucre, de la vitamine C, de l’eau et un fruit. Quand je passe la porte je suis à 200 %. Personne ne doit rien voir ni rien savoir.
Un jour, c’est vraiment trop intense, je ferme la boutique et me couche sur le tapis, à l’abri des regards, le temps que mes vertiges passent, le temps que je retrouve la force de prendre le métro. Je ne sais pas combien de temps je passe sur ce tapis mais étrangement j’y suis bien. J’arrive à faire quelque chose de mes journées, je travaille, je suis de retour dans les rouages de la société moderne, je vais bientôt à nouveau être imposable. Le rêve américain à la française.