On y est. Ce fameux matin. Ce fameux trajet que je connais par cœur à force d’aller voir mon frère. Je vérifie 2 ou 3 fois tous les papiers que j’ai pris avec moi, de mon bilan de santé aux résultats du labo en passant par ma carte vitale, carte bleue, carte Picard, carte Vélib’. J’ai peur d’oublier quelque chose étant donné que ces jours-ci j’oublie à peu près tout, ça va de : mettre de la lessive pour faire une lessive à mettre du dentifrice pour me brosser les dents (avec entre les deux beaucoup d’autres choses qui ne se passent pas que dans la salle de bain). Une heure et demie plus tard, j’arrive au secrétariat pour présenter ma convocation et recevoir un grand dossier avec une page entière de petites étiquettes à mon nom. Je me demande à quoi vont servir tous ces autocollants.
Le trajet parcouru ce matin me faisait peur, j’avais peur de tomber, de m’endormir, de me perdre, d’arriver en retard ou tout ça en même temps. Je suis heureuse d’être là mais complètement exténuée. Une fois assise dans la salle d’attente, je m’endors immédiatement. Trente minutes plus tard, le docteur vient me tapoter l’épaule pour me tirer des bras bodybuildés de Morphée. J’ôte mon filet de bave d’une main et ramasse mes affaires tombées par terre de l’autre : on y va.
Je commence par pleurer un bon coup, parce que c’est pas non plus évident de sortir d’une sieste, comme ça, à brûle-pourpoint, et je lui raconte tout, en lisant mes notes sur les différents symptômes, prises au fur et à mesure. Je ne sais pas à ce moment-là si ce sont vraiment des symptômes mais disons que ce sont des choses qui ne me sont jamais arrivées avant. Je te rappelle Cher Journal que je ne suis jamais malade grâce à mon précieux régime : jus de citron / pâtes au ketchup. On n’en parle pas assez mais c’est très efficace, après tout : si la tomate est un fruit, qu’est-ce que le ketchup si ce n’est un smoothie ? Je te laisse méditer quelques instants…
Me voici donc en train de lui vomir ma liste de trucs bizarres, parfois un peu honteuse, il y en a beaucoup depuis tout ce temps, il ne dit rien mais prend des notes. J’ai l’impression d’être chez le psy avec toujours cette même question : est-il intéressé par ce que je dis ou écrit-il : « penser à acheter un gros rôti pour dimanche ».
Je termine mon petit monologue répété depuis des jours pour être sûre de ne rien oublier. OUF ! J’ai fini. Mon cerveau est en surchauffe, je me sens très faible. Je clique frénétiquement sur le bout de mon critérium pour faire sortir la mine et décide de tout noter pour être sûre de ne rien oublier. Il regarde avec moi les résultats et me les explique, avec des mots normaux. Parfois il va trop vite, j’applique la technique de Denzel Washington dans Philadelphia : « expliquez-moi ça comme si j’avais 6 ans ». Ça marche, je comprends tout. Merci Denzel, sans toi je serais vraiment abrutie.
On parle, il m’explique ce qu’est cette connerie maladie, comment on la repère, il me dit qu’avec des résultats comme les miens, il n’y a pas une ligne qui n’indique pas Lyme et que j’aurais dû être soignée dès le début. On parle des endives et à quel point elles peuvent être amères. Je pose des questions, j’obtiens des réponses. C’est clair. Net. Précis. La bonne nouvelle c’est que mon cas est très simple car toutes les étapes sont limpides : la morsure, l’érythème migrant, les deux gros chocs émotionnels qui se suivent et font exploser les compteurs de bactéries. Car en fait les bactéries responsables de Lyme, c’est comme les flics à une manif des Gilets Jaunes, elles attendent que tu sois dans un état lamentable pour te verbaliser à coup de paralysies, brûlures, troubles cognitifs etc. Merci Hidalgo comme dirait l’autre.
Il me parle du traitement : 3 mois d’antibiotiques couplés à d’autres « anti-trucs » pour les articulations et en parallèle des vitamines en veux-tu en voilà : j’ai l’impression de faire une partie de bataille navale sur un Scrabble : B8, D, B12, A, C, E, B6, B9 ! Coulé ! Perdu ! Allez hop en prison, tu dégages !
Je commence un peu à me perdre dans tous ces compléments conseillés. Et à m’endormir aussi.
Soudain une phrase me réveille : « on a aussi vu de très bons résultats chez certains patients qui enlevaient de leur alimentation le gluten, le sucre et les produits laitiers ».
Euuuuuuuuuh…
Tout ce que j’ai vu c’est mon plat de pâtes au ketchup sur son lit king size de gruyère s’envoler loin de moi, comme quand Idéfix se prend un mur et voit des os tourner autour de lui. Qu’est-ce que je vais manger ? Des légumes jusqu’à la fin de ma vie ? Sans pain ? Quid de la mozza ? Et des Petits Filous à la pêche ? Mon dieu quel enfer, moi qui croyais que le pire était passé.
Ma décision est prise : je vais prendre la vie côté breton. Ils sont géniaux les Bretons, ils se foutent complètement des consignes de santé. On leur rabâche « évitez de manger trop gras, trop salé, trop sucré » et pour riposter ils inventent le caramel au beurre salé.
Des génies.
Le rendez-vous prend fin après une bonne heure, le temps d’une dernière mise en garde sur le traitement : les premières semaines vont être hardcores. Les antibios vont faire l’effet d’une bombe et faire ressortir toutes les bactéries en même temps, avec pour résultat : des symptômes exacerbés ! YOUPIIIIII ! Mais une fois que le corps s’habitue et accepte le traitement, les améliorations sont rapides. Ça peut durer 3 jours ou 4 semaines… mystère et bulles de bubble gum. Je n’ai jamais autant parlé au conditionnel que pendant ce rendez-vous, mais je sors de l’hôpital avec le cœur léger ! C’est fini ! Tout est fini. Les doutes, (les miens mais surtout ceux de mes proches sur cette maladie « imaginaire »), les souffrances, la vie au ralenti : je n’ai qu’une envie c’est de commencer le traitement. Pourtant il m’a bien dit que ça allait piquer ! Certains sont hospitalisés tellement les douleurs sont atroces et doivent réajuster les doses : est-ce que je vais en passer par là ? Franchement je m’en fous car j’ai un filet de sécurité maintenant, je ne suis plus à faire l’équilibre au-dessus du vide, il y a quelqu’un en bas qui me suit. Alors ce traitement, je ne sais pas ce que ça va donner mais rien que le fait qu’il existe me remplit de joie. Je repasse voir les infirmières qui me prélèvent 1 000 tubes de sang ( au bas mot ) pour un check complet. Les étiquettes servent. Toutes. J’ai l’impression de sortir de chez le taxidermiste en partant de là : avec un sourire figé , l’oeil vitreux et plus une goutte de sang dans les veines. Le trajet de retour se passe dans un flou de fatigue total, j’appelle ma mère puis ma tante, je parle comme un robot et décortique le rdv pour en parler tant que je m’en souviens et que mes idées sont à peu près claires.
Arrivée dans mon quartier et à la limite de siester sur le trottoir, je vais dans une toute petite pharmacie avec le nom du pharmacien sur la porte. L’anti-pouxit. Si j’avais fait 50 mètres 1 an et demi plus tôt, je n’en serais peut-être pas là aujourd’hui. MAIS BON. Je lui déroule ma liste de médocs comme un serviteur du roi déroule la liste des invités à présenter lors d’un couronnement : avec style et solennité. Le pharmacien me demande pour quel type d’infection je prends tout ça, je lui explique, ça l’intéresse, il ne connaissait pas ce traitement et me dit qu’il va se renseigner plus en profondeur. Un pharmacien qui se renseigne. Qui ne juge pas. POUXIT : TU PRENDS DES NOTES STP ?
Je rentre donc chez moi avec ma brouette de boîtes en tout genre : ça me paraissait moins gros et moins cher sur le papier. Je décharge tout sur la table et m’endors instantanément : mon corps s’éteint de fatigue. Quelques heures plus tard, mon copain rentre trop content à l’idée d’entendre comment tout s’est passé. On s’installe et je pense que tous les mots sont lancés, mais vu sa tête, je ne sais pas dans quel ordre. Je suis tellement confuse dans ce que je dis que je ne sais même plus où j’en suis. La communication non verbale étant un art trop souvent sous-estimé, j’essaye d’amplifier la portée de mon message en levant mes sourcils et en dodelinant de la tête. Il est content parce qu’il entend des mots-clés rassurants et me vois agiter les boites dans tous les sens, mais je me dis vraiment qu’il lui en faut peu pour être heureux.
J’adore votre façon de raconter et attends impatiemment chaque chapitre !
Super le passage sur les bretons, j’en suis une, malheureusement on mange bien mais il y a aussi des lymés au régime…